De la neige









De ton doigt, tu appuis sur l’interrupteur et la lumière nait, rose et rêveuse. (Et aussitôt),la chaleur s’infiltre dans ton corps. Tu approchesdu lit, Tes yeux brillent d’un nouvel éclat. La braise du désir devient aussi grande qu’un éléphant. La poupée, enveloppée dans son pyjama, est sur le lit, et toi, tu raffoles de la belle poupée. Tu approches, les yeux brillants. La chaleur devient brulante. Et la peur. Je me recroqueville dans mon coin. Tu ne prends pas garde à moi. Tu approches implorant, me prends dans tes bras. Tes souffles me tombent dessus, haletants et bruyants. Tu me serres comme un roseau par une tempête déchainée. Tu m’essores, brises mes côtes de verre. Tes lèvres se tendent vers moi, mes caresses. Tu n’arrêtes plus de m’arpenter le corps, en proie à la soif et à la passion.

Je regarde la fièvre dans tes yeux. Et, dans tes caresses, je sens le désir insensé et la vigoureuse brutalité qui assiège mon corps étendu de poupée. Je te regarde, tel un lion qui rôde, sans retenue, dans les bois, brisant mes branches et cueillant mes fruits. Tu essores, écrases et ne demandes rien d’autre. Je te regarde, tel un spectateur, seul qui regarde un film violant et terrible. Je sens le froid cingler mon corps nu.

J’ouvre mes paupières que j’ai fermée par pudeur, mais aussi à cause du froid et de la fatigue et j’aperçois, sur moi, comme un géant qui me prive d’air et de lumière, je vois, sur moi, grandir le corps robuste, devenir comme énorme jusqu'à remplir toute la pièce, et le ciel aussi, et la terre entière, et la terre entière. Il bouche l’horizon et toutes les dimensions. Alors, il ne subsiste rien en dehors de la froideur écrasante de mon corps. Et la neige désolée qui me tombe dessus, drue, me couvre, m’ensevelit pour me déposer enfin dans la couche d’un homme.

Le lit s’effondre sous moi. Il n’est plus qu’un grand trou, très profond. Tes bras m’y poussent, me plongent dans ses abysses ténébreux, me couvrent de terre pesante et douloureuse. Je me sens étouffer et………le froid.
J’ouvre mes yeux couleur de nuit. Et je te vois, face à moi, toi le mâle nu, avec ton humanité dévastatrice, ton désir, ta violence et ton potentiel de destruction. Tu me pousses dans le trou froid et je me ramasse, tel un enfant apeuré et patient.
Ton feu est brulant et tu m’enflammes.
Tu n’as pas vu la nuit, désolée et paisible, dans mes yeux.
Tu n’as pas senti ma peur et ma fatigue.
Tu n’as pas senti la neige qui s’entasse sur ma poitrine, mes bras et mes épaules dénudés.
Tu n’as pas touché le suaire qui m’enveloppe !!
Tu ne l’as pas vu ?! Tes yeux avalent tout fruit délicieux. Tes lèvres se jettent dans toutes les sources, pour étancher ta soif. Tes dents croquent avec délectation, passionnément.

Quand elle était enfant, elle l’a vue, un mâle géant qui buvais la rougeur de ses joues et broutais son sein plantureux, déchirais sa peau tendre et lui criait son amour violent et sa passion qu’il lui vouait.
Je l’aimais quand, souriante, elle venait vers moi, me présentait les friandises et les gâteaux et revenait partager ma joie. Puis, elle mourut subitement. Il l’enterra et irrigua sa tombe de ses larmes. Avant que la terre de sa dernière demeure ne sèche, que son âme ne repose dans le jardin de l’oubli, il déshabilla une autre femme sur sa couche. Depuis, je le craignais, le fuyais. Chaque fois qu’il arrivait chez nous, je me sentais terrorisée. Je le fuyais et allais m’enfermer dans ma chambre.

De mes bras, je me couvre la poitrine pour chasser le froid. Violemment, tu m’écartes les bras, les éloignes. Je ne peux me défendre contre toi. C’est ton droit. Tu les a achetés. Ils ont été consignés dans le contrat d’achat. Ils ne m’appartiennent plus. Ils ne sont plu ma propriété. Bois à toutes les sources ! Cueille ce que tu as payé et écrases ce que ton corps géant et brun voudrais bien écraser !

La terre s’abat sur mon corps, imprégnée de pluie et de neige. La poupée est seule dans le vide, seule avec la blancheur de la neige. Le vent hurle au-dessus d’elle.
Mais tu es le propriétaire du corps que tu vénères, alors plonge dans toutes mes mers et ne te soucie de rien.
La neige m’enveloppe toute seule. La terre m’étouffe, s’infiltre dans ma gorge. Ne te soucie de rien.
Vite, mais plus vite, mes mers sont amères et mes forêts désolées. Et mes saisons sont toutes des hivers.
Vite, car bientôt la neige me transformera en une poupée de marbre, jetée sur ta couche.
La première fois que tes mains m’ont touché le corps, j’ai eu la chair de poule. Je me suis souvenue d’elle. Je me suis rappelée son sourire, beau et enjoué.(…….) Quand tes mains ont glissé sur mon corps, j’ai éprouvé un peu de plaisir et beaucoup de dégout, de peur et de douleur. Rapidement, tu as éloigné ta main de ma hanche. J’ai été terrassée par une honte invincible. J’ai tremblé devant toi, tu as souri, tout fier de toi. J’ai senti que j’étais en train de m’éloigner de la terre, de mes poupées, de mes poèmes, de mes roses, qu’ils se sont tous perdus dans l’espace et que j’étais en train de m’enfoncer dans la terre. Je marche dans une voie de silence. Je fais partie de l’espace.

Tu ne t’es inquiété de rien. Tu n’as pas deviné ma panique, ni senti mon besoin. Tu as continué de faire appel à mon corps.
Un brasier dans tes yeux, un désir douloureux qui tente de m’attirer vers ton feu, de me jeter dans des abimes sombres et mystérieux, de m’emporter vers des grottes souterraines, bien au fond de la terre (…..)
La neige désolée s’entasse sur ma poitrine, me couvre. La terre m’empêche de respirer, m’étouffe complètement.
Je tente de lever les mains vers toi, mais mes mains ne se lèvent pas, ne bougent pas. Un morceau de marbre abandonné. Mes yeux bougent et j’aperçois mon corps, telle une statue de neige. Je tente d’ouvrir la bouche, j’implore le ciel, je désire me réveiller. J’appelle les oiseaux pour qu’ils viennent m’arracher à ma tombe, me soulever, m’emporter très haut dans le ciel. Mais ma langue ne bouge pas et ma bouche ne s’ouvre pas. Seulement, je te vois, juché sur la poupée, qui te délecte de la détruire, de l’enfoncer dans les montagnes de neige.
J’entends des voix lointaines.
- Tu es devenue une statue de marbre.
- Non, une statue de glace.
- Elle finira bien par fondre.
- La terre la boira.
- Elle se brisera.
Les voix s’entremêlent, s’élèvent, s’éloignent. Mes yeux deviennent deux verres vides.
Je regarde tes yeux, toi le mâle nu. Je tente de t’appeler, de te repousser. Ma bouche ne s’ouvre pas, ma langue non plus.
J’ai dans la bouche un morceau de glace. Mes yeux se perdent. Je te vois qui t’éloignes, t’éloignes encore. La lampe s’éteint, se brise. Le monde s’obscurcit, je m’enfonce, m’enlise dans la rue, dans la neige, dans les ténèbres. L’horizon absorbe le ciel. Son verre se brise et retombe. De la neige qui ensevelit la poupée nue.


*Mina-Athalagi- Fi Dhoulmati Annour( dans les ténèbres de la lumière) Publication de la revue Kassas.